Genève

Tout juste licenciés, des ex-employés de la SPA brisent le silence sur l’état du refuge

02.12.2025 18h15 Denis Palma, Jérémy Seydoux

SPA

Vincent Funten et Benoît Boucher décrivent un établissement désorganisé, sale, en sous-effectif et en proie à des négligences. Leur récit exclusif, recueilli par Léman Bleu et la Tribune de Genève, contredit la communication officielle de la SGPA, qui persiste à dénoncer une cabale médiatique et qui réfute tout manquement. 

Tout juste licencié, Vincent Funten, 42 ans, ancien gardien de nuit et employé durant cinq mois affirme avoir servi de bouc émissaire. Accusé d’avoir parlé à la presse, il s’en défend catégoriquement: «Des gens partis avant moi savaient tout ce qui se passait. Les employés, on parle entre nous, quand il y a des dysfonctionnements...»

Benoît Boucher, 50 ans, ancien gardien de chiens, a connu le même sort: licencié après trois mois seulement, en fin d’été. Et ils ne sont pas les derniers de la liste: une autre employée, en poste depuis un an et demi, a été renvoyée brutalement la semaine dernière. Elle n’a pas souhaité s’exprimer dans le cadre de notre reportage. 

«La façon de nettoyer est complètement aléatoire» 

Les deux hommes décrivent un quotidien fait d’improvisations, d’équipes débordées et de négligences. «Rien n'est structuré comme il faut», fustige Benoît. «La façon de nettoyer, c'est complètement aléatoire.» Vincent abonde: «Certains chiens ne sortent pas en balade, alors que d'autres y vont quatre ou cinq fois par semaine. On voit qu'il y a plein de petits dysfonctionnements.»

Des maltraitances restées impunies ?

Leurs récits confirment les révélations récentes de la Tribune de Genève, qui évoquait des négligences persistantes et des conséquences sur le bien-être animal. Vincent, lui, ne mâche pas ses mots: «Les cas de maltraitances sortis dans la presse sont réels. Et ce qui est bizarre, c'est que les témoins ont été renvoyés, mais les personnes qui ont maltraité sont toujours sur place.»

S’ils s’exposent aujourd’hui à visage découvert, ce n’est pas, disent-ils, par rancune. C’est une question de transparence, un mot devenu tabou, selon eux, au sein du refuge: «Il y en a marre de cette impunité, de se dire ”on est intouchables”. Beaucoup témoignent anonymement par peur. Mais peur de qui? De quoi? Moi, je n’ai pas peur de dire la vérité», assène Vincent. 

«Je n'ai pas peur de dire la vérité» – Vincent Funten, gardien licencié 

Benoît Boucher et Vincent Funten Benoît Boucher (à gauche) et Vincent Funten (à droite), ex-employés au refuge de la SPGA, témoignent à visage découvert. Ils font partie des trois personnes licenciées brutalement ces dernières semaines.

La SGPA, de son côté, balaie ces accusations. Elle affirme dans une communication publiée sur Facebook que les effectifs, plannings et tournus sont parfaitement adaptés. Dans un courriel adressé à nos rédactions aujourd’hui, la SGPA dénonce une «campagne de désinformation manifeste» et «des faits contraires à la vérité», tout en refusant de répondre à nos questions. 

Odeurs d’excréments et asticots sous les poubelles 

Benoît contredit frontalement la version de la direction: «Je n’ai vu aucun agent assis, dire “le boulot est fait parce qu’on est trop”. C’est faux. Il faut se dépêcher, on n’est pas assez.»

Le constat sur l’état de salubrité du refuge qu’il dresse est tout aussi sombre: «Quand ça sent l’urine ou les excréments dans les travées, ce n’est pas propre. Des asticots sous les poubelles parce qu’il fait chaud… Personne ne percute à changer les sacs. Là, je dis: il n’y a pas de compétence.»

Le 16 septembre, une visite inopinée des services du vétérinaire cantonal n’a relevé que des médicaments périmés. Une inspection que les témoins jugent bâclée: «Le SCAV sonne à la porte. On me demande de nettoyer le labo en vitesse et on enlève les clés des boîtes à médicaments. Lors de la visite, personne ne soulève pas une grille et ne s’inquiète de l’hygiène, pourtant ça sent. Bizarre comme visite.», raconte Benoît.

Chatons morts et chien laissé dehors 

Au cœur du malaise, des situations qui laissent des traces. Vincent évoque une nuit où il s’est retrouvé à gérer seul une portée de très jeunes chatons: «Quand je suis parti à 7h, ils étaient en vie. Le soir, on m’a dit que les trois étaient morts. Ils auraient dû être emmené chez un vétérinaire, en couveuse. C’est moi, gardien de nuit, qui ai dû m’en occuper. Pour moi, la SPA a tué ces chatons. Pas directement, mais par absence d’action.»

«Pour moi, la SPA a tué ces chatons» – Vincent Funten, gardien licencié 

La SPA réfute toute faute: «La mise bas s’est mal passée. La mère les a rejetés. Nous avons tenté de prendre le relais, en vain», fait savoir l’association présidée par Henri Balladur sur Facebook.

Autre cas problématique, un berger d’Anatolie laissé quasiment tout l’été dans le même parc.
«On nous disait: n'approchez pas. Mais avec des friandises, on pouvait. Ce n’est pas une maltraitance de haute intensité, mais ça reste de la négligence. Ce n’est pas comme ça qu’on replace un chien.», regrette Vincent.

La SPA assure désormais que, vu les températures, le chien passe ses nuits à l’intérieur et que la rééducation suit son cours.

«Leur parole n’a pas la moindre légitimité» 

Sur Facebook toujours, Nicolas Godeau, responsable chien, estime qu’il s’agit d’une attaque injuste et s’en prend à tous les témoins faisant état de dysfonctionnements: «Ils ne sont plus au refuge parce que leur comportement ne correspondait pas à nos valeurs. Leur parole n’a pas la moindre légitimité.»

Depuis près d’un an, enquêtes de presse, suspicions de maltraitance, sous-effectif chronique, licenciements et départs en cascade alimentent un climat de crise. Au printemps, un administrateur avait été mandaté pour rétablir l’ordre. Il a claqué la porte face à l’absence de volonté de changement du comité.

Depuis, le refuge semble embourbé dans un conflit interne, sur fond de soupçons de mauvaise gestion financière d’une fondation et d’une association qui gèrent des millions. 

Relire notre enquête du 29 juillet 2025: Entre démissions et transferts de fonds, désordre à la SPA