Opinions

Lugon sans permission: Alerte, le Conseil d'État renonce à gouverner

22.11.2025 07h30 Laure Lugon Zugravu

Le Conseil d'État a mandaté un ancien président de la Cour des comptes pour trouver des économies. Ou quand les politiques oublient qu'ils ont été élus pour être autre chose que d'aimables gestionnaires.

Alléluia, nous sommes sauvés. Alors qu’il fallait craindre la menace d’une procédure de liquidation sommaire de l’État de Genève avant la faillite provisoire, voici qu’une lueur d’espoir est apparue cette semaine. Espoir en la personne d’un expert – prononcer ce mot suffit à instaurer un respectueux silence de chapelle, si on veille à traîner sur la dernière syllabe avec une mine entendue.

Devant la catastrophe annoncée d’un déficit de plus de 750 millions de francs l’an prochain et la difficulté insurmontable à trouver des économies structurelles, le sage Conseil d’État a mandaté le sieur Zuin, ancien président de la Cour des comptes, pour trouver 500 petits millions à économiser dans la puissante dévoreuse étatique à l’horizon 2027-2028.

Des spécialistes indépendants qu’on imagine collet monté en costumes Price Waterhouse Coopers

Pour 150'000 francs seulement, l’homme sera à la tête d’une équipe de choc composée de spécialistes indépendants qu’on imagine collet monté en costumes Price Waterhouse Coopers, ainsi que de fonctionnaires, plutôt hauts, car on sait que ces derniers se froissent facilement quand ils ne sont pas conviés. Ceux du bas de l’échelle aussi, d’ailleurs, mais laissons cela.

Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’on pourra compter sur l’administration pour trouver à couper ailleurs que dans ses rangs. Elle aura certainement d’excellentes idées pour ponctionner davantage à travers les émoluments ou les taxes. Il faudra alors ne pas la décevoir, sous peine de voir s’ouvrir un nouveau front. Mais que voulez-vous, ce sont les joyeusetés du pouvoir participatif. Quoi qu’il en soit, les conclusions de ce groupe de pilotage seront connues en juin prochain. On gagne encore six mois.

Dans ce vol, on trouve Stanislas Zuin dans le cockpit et Nathalie Fontanet en hôtesse de l’air

«Groupe de pilotage», ce n’est pas moi qui le dis, mais le Conseil d’État. Ce faisant, il admet déléguer une partie de son pouvoir. À tout le moins différer son exercice. Car qui tient le manche à balai dans l’avion est le patron. Et c’est ainsi que dans ce vol, on trouve Stanislas Zuin dans le cockpit et Nathalie Fontanet en hôtesse de l’air, tout comme le reste du Conseil d’État promu personnel de cabine. Notez que c’est assez tendance, en Suisse, ces derniers temps. Dans le jet Bombardier Global 7500 du Conseil fédéral, Rolex et consorts pilotent, tandis que Guy Parmelin sert le champagne. Karin Keller-Sutter, elle, a passé à la maintenance.

Je sens qu’on va encore m’accuser de faire du mauvais esprit. Car si on a mandaté un expert externe pour procéder aux nécessaires économies dans l’appareil d’État, c’est pour de nobles raisons: s’offrir un regard neutre et objectif en dehors de tout intérêt particulier, nous apprend le Département des finances. D’où il faut conclure deux choses.

Primo, le collège n’existe pas, puisqu’en période de difficultés, ses sept entités ne parviennent pas à sacrifier leurs intérêts propres à l’effort commun

Primo, le collège n’existe pas, puisqu’en période de difficultés, ses sept entités ne parviennent pas à sacrifier leurs intérêts propres à l’effort commun afin de réaliser ce qu’elles promettent depuis exactement dix ans. Secundo - et ce n’est pas en français dans le texte - cette délégation de pouvoir révèle un manque de courage à l’exercer. Genève dispose en effet d’une armée de hauts-fonctionnaires capés et diligents, dévoués au bien public - précision sans ironie aucune. Il suffit de leur donner une direction politique. Quel besoin d’aller piocher hors sérail, si ce n’est par manque de courage d’affronter le danger que suppose le choix? Pardon de demander aux politiques de faire de la politique.

Dans le privé, les entreprises recourent à des consultants pour le sale boulot. Cela leur permet de se cacher derrière l’expertise pour procéder à des coupes qu’elles avaient déjà décidé de faire. Mais les directions de sociétés ne sont pas élues. Elles n’ont d’autre but que le destin de la boîte, ses performances et ses dividendes. Pardonnez ma naïveté, mais lorsque je donne ma voix à un politique, j’ai dans l’idée qu’il va prendre ses responsabilités pour gouverner. Tel n’est manifestement plus le cas, puisque nos élus font désormais office de courroie de transmission vers McKinsey ou la Cour des comptes, préférant gérer les affaires courantes plutôt que de décider et de déplaire. Aussi proposé-je de confier directement à ces experts le pouvoir de gérer la République. Et tant qu’on y est, dissolvons aussi le Parlement qui me fatigue.

Il est nécessaire d’améliorer la condition des salariés du public qui, comme chacun sait, représentent un «Lumpenproletariat» déguisé

D’ailleurs, voyez vous-même la dernière drôlerie issue de ses rangs que j’ai découverte incidemment: avec un sens de l’à-propos qui m’émerveille, le PS et les Verts, flanqués du ravi de la crèche (LJS), ont déposé un projet de loi lunaire dans les circonstances actuelles: il veut protéger encore plus (eh oui, c’est possible) le personnel du service public. Ce texte garantirait aux employés malades ou accidentés une protection totale contre le licenciement pendant 730 jours civils avec intégralité du salaire versé, y compris à ceux sous contrat à durée déterminée et à ceux en période probatoire. Tant il est nécessaire d’améliorer la condition des salariés du public qui, comme chacun sait, représentent un «Lumpenproletariat» déguisé. Tant il est urgent de renforcer l’absentéisme, déjà à son plus haut. L’application de ce projet sera gracieusement financée par le contribuable.

Sinon, lorsque dans cinq ans on n’aura toujours pas trouvé le moyen d’économiser, on pourra toujours se tourner vers la philanthropie pour financer l’appareil et la charité légale. Delphine Bachmann a déjà pris les devants.