Opinions

Lugon sans permission: Conseil d'État, parce que je le vaux bien

20.09.2025 07h30 Laure Lugon Zugravu

La campagne ne décolle pas. Certains candidats ne veulent pas se mouiller, préférant parler d’eux-mêmes plutôt que des sujets qui fâchent.

Mesdames, messieurs, un siège d’administrateur est à repourvoir dans une semaine. Lieu de travail: tour Baudet. Salaire: 330'000 francs. Expérience requise: ample. Compétences: compétent. Motivation: motivé.

Du fait de ces exigences, nous tenons des candidats aussi variés que méritoires pour l’élection complémentaire au Conseil d’État. Mais comme la politique s’apparente de plus en plus à de la gestion, certains s’épargnent d’élaborer des programmes piégeux. Il leur suffit d’avancer leurs profils, leurs faits d’armes, leurs biographies, sans y mettre aucun relief. Car enfin, à quoi servirait de présenter quelques vagues idées, si ce n’est à fâcher ceux qui n’y souscriraient pas? Mobilité, clivant. Sécurité, clivant. Imposition, clivant. Les convictions n’amènent que des chicanes, superfétatoires pour un poste d’administrateur.

Voilà des jours que je me délecte de ces prouesses discursives qui gomment les aspérités de la politique et, conséquemment, en détournent le citoyen. Mais c’est un détail, puisqu’une participation faiblarde, voire anémique, n’empêche pas une élection. Prenons quelques exemples de slogans parmi les favoris au poste mis au concours.

La notion de centre-droit humaniste est une tentative de convaincre les électeurs de droite que le Centre n’est pas de gauche tout en donnant aux électeurs de gauche le susucre humaniste

Sur l’affiche du centriste Xavier Magnin, au regard inspiré et déterminé, on lit: «J’incarne un centre-droit humaniste, tourné vers l’action, loin des clivages et du statu quo.» Il faut passablement réfléchir pour parvenir à décoder cette définition articulée en deux temps, «et, et / ni, ni». La notion de centre-droit humaniste est une tentative de convaincre les électeurs de droite que le Centre n’est pas de gauche tout en donnant aux électeurs de gauche le susucre humaniste (que par ailleurs nous sommes beaucoup à revendiquer). Pour le reste, il dit apprécier que ça bouge pour autant que tout le monde soit d’accord. Si ce n’est pas un programme, c’est au moins une gageure.

Comme je me connais un penchant au mauvais esprit, j’ai sollicité un avis neutre et me suis tournée vers l’intelligence artificielle à qui j’ai demandé d’analyser ce slogan. Le robot m’a répondu: «banal, abstrait, interchangeable, sans promesse tangible tournée vers l’électeur». Mais on sait que l’intelligence artificielle peut avoir des hallucinations.

J’ai alors regardé une vidéo, dans laquelle Xavier Magnin explique qu’il est fils d’agriculteur, ce qui ne constitue toujours pas un programme, avant d’énumérer ses postes en politique comme dans un curriculum vitae taillé pour LinkedIn en concluant: «L’étape suivante pour moi, c’est de mettre toute cette expérience à votre service.» Ah, merci. Encore aimerais-je savoir si, sur les sujets qui me préoccupent, il se mettra à mon service, ou au service de ceux qui pensent le contraire de moi.

«Ma compétence au service de Genève.» Bigre! Encore un homme compétent. Et pour faire quoi?

Le lendemain, j’aperçois la photo de Nicolas Walder, candidat écologiste, en majesté sur un bus: «Ma compétence au service de Genève.» Bigre! Encore un homme compétent. Et pour faire quoi? Il faut creuser un peu pour trouver. Le conseiller national, se sachant probablement déconnecté du canton, a pris la peine de répertorier sur son site «dix engagements pour Genève». Ça fait un peu «dix commandements», je vous l’accorde, sachant que le Vert fait partie de l’aile dure de son parti. Aussi a-t-il pris le soin de parler d’écologie joyeuse pour qu’on oublie les penchants punitifs qui furent les siens. Au moins l’homme ne manque-t-il pas de convictions, fussent-elles moins tournées vers l’exhortation pour les besoins de la cause.

Sinon, les réseaux sociaux regorgent de photos de rencontres entre l’élu et les associations LGBTIQ+, une autre de ses préoccupations majeures. Sa compétence nous laisse donc entrevoir, s’il est élu, le songe d’une Genève en forme de jardin associatif, pleine de commerces de proximité dédaigneux des lois du marché, regorgeant de bars inclusifs et bienveillants où trinquent des habitants en logements coopératifs aux mains de l’État.

Même s’il dissimule un peu le drapeau UDC pour ne pas épouvanter la piétaille de centre-droit, on tient le dessein politique de Lionel Dugerdil

À propos d’apéros, c’est précisément le cœur de la campagne du candidat UDC. Lionel Dugerdil à l’apéro dans les vignes, Dugerdil qui boit des coups de blanc et grille des saucisses, mais aussi qui fait du vélo. Lui non plus n’échappe pas à la règle du non programmatique lorsqu’on considère son slogan: «Solide, enraciné, pour une politique du bon sens». Oui, mais lequel? Si on lui pose la question, au moins n’évite-t-il pas la réponse: soumettre l’État à un régime minceur, baisser les impôts, arrêter d’embêter les automobilistes et lutter contre le trafic de drogue. «C’est pas un prétentieux, il dit des choses que je comprends», note Alain Morisod, qui n’a pas dû hésiter longtemps à se faire le porte-voix d’un homme dont la clientèle s’apparente à la sienne. Même s’il dissimule un peu le drapeau UDC pour ne pas épouvanter la piétaille de centre-droit, on tient le dessein politique de Lionel Dugerdil.

Depuis que Rémy Pagani nargue la gauche en capitaine buriné, keffieh au vent, Nicolas Walder enchaîne les posts sur la Palestine

De même que celui du candidat de l’Union populaire, à l’autre extrémité. Le programme de Rémy Pagani pour Genève? Gaza. C’est sans équivoques, limpide comme la Méditerranée qu’il a contemplée pendant des semaines sans pouvoir embarquer. La campagne politique la plus originale, indécente ou courageuse, c’est selon. Depuis que le septuagénaire nargue la gauche en capitaine buriné, keffieh au vent, Nicolas Walder enchaîne les posts sur la Palestine. Mais ça va être difficile de régater sur ce thème avec le vieux loup de mer.

Hormis l’un qui tire des bords et l’autre vissé à sa terre, les autres tentent de séduire en parlant d’eux-mêmes - je ne sais s’il faut classer le MCG Maikl Gerzner dans cette catégorie, lui qui parle comme un livre non traduit par Alain Morisod. Mais à une époque où les convictions prennent des tournures hargneuses et violentes, je m’étonne que des candidats genevois n’osent pas complètement vendre leurs idées. L’ambition est une force positive, pour autant qu’elle ait un objectif autre que son propre couronnement.

Et sinon, que cette modeste herméneutique de campagne ne vous décourage pas d’aller voter. Parce qu’ils le valent bien.