Lugon sans permission: Martin Pfister au royaume des bisounours
Le conseiller fédéral Martin Pfister a été empêché de parole par des manifestants propalestiniens pendant de longues minutes. L'université se révèle incapable d’organiser un débat dans des conditions normales.
Tout avait remarquablement démarré. Le conseiller fédéral Martin Pfister, invité par l’université de Genève pour parler Europe, était dans une excellente disposition. Idem du côté des activistes propalestiniens. Ceux-ci avaient prévenu plusieurs jours à l’avance: «Soyons là pour empêcher son discours!» Tant il leur paraissait essentiel de dézinguer un ministre venu combattre la position UDC, parti dont j’aurais cependant parié qu’il fût un de leurs ennemis jurés. Mais que pèse le paquet d’accords de la Suisse avec l’Union européenne en regard de Gaza? Rien.
Tout avait remarquablement démarré, donc, y compris du côté de l’université. Fidèle à sa non-politique, à ses non-choix et à son exquise mollesse, elle a regardé arriver les uns et les autres en espérant benoîtement que tout ce petit monde se mette à deviser agréablement. D’autant plus que la manifestation était non autorisée, une garantie supplémentaire de concorde. Comme l’alma mater avait été avertie, il eût été superflu qu’elle prît des mesures. Mieux valait se montrer prévenante à l’égard des activiste turbulents, comme il sied à un parent bienveillant. Elle leur a donc permis de rentrer dans la salle afin qu’ils puissent mettre à exécution leur lumineux projet: faire taire un Zougois génocidaire ayant cédé à l’achat compulsif de drones israéliens.
L’adulte dans la pièce, lui, a fait ce qu’il fallait faire. Patienter sans s’agacer, dans l’espoir que l’organisatrice, ci-devant la maman-copine, veuille bien calmer les mômes
Et c’est ainsi que les gentils policiers ont été priés de laisser entrer les petits enragés: activistes en keffieh, cheveux bleus ou portant drapeau, militants sur le retour en quête d’une seconde jeunesse révolutionnaire. Les ethnologues du futur auront du pain sur la planche pour trier les différentes tribus de cette galaxie d’extrême-gauche, dont certains mouvements méritent que j’en fasse la réclame, comme le mythique CRAQ, Collectif radical d’action queer, se définissant comme un groupe «militant et révolutionnaire basé à Genève, en non-mixité transpédégouinebi.» J’espère qu’on fournira aux Palestiniens les sous-titres. Mais passons.
La suite ne réserva donc aucun suspense. Concernant le qualificatif réservé aux vingt minutes de vociférations qui suivirent les premiers mots du conseiller fédéral, j’hésite entre indigne, déshonorant, grotesque ou bouffon. Ce sera bouffon. L’adulte dans la pièce, lui, a fait ce qu’il fallait faire. Patienter sans s’agacer, dans l’espoir que l’organisatrice, ci-devant la maman-copine, veuille bien calmer les mômes. Martin Pfister poussa même l’élégance jusqu’à leur proposer le dialogue. Mais comme ce mot ne figure pas dans leur vocabulaire, la tentative se solda par un échec.
Quand on met aux prises un intolérant et un coach en gestion de conflit par l’écoute réciproque, il ne faut pas être grand clerc pour savoir sur lequel miser
En revanche, l’université n’a que ce mot à la bouche. Plus les militants affirment ne pas vouloir dialoguer, plus l’alma mater tient mordicus à le faire. C’est sympa, les mots clés. Ça permet de ne pas réfléchir à une sortie de l’impasse, puisque impasse il y a. Seule l’université n’en est pas consciente. Quand on met aux prises un intolérant et un coach en gestion de conflits par l’écoute réciproque, il ne faut pas être grand clerc pour savoir sur lequel miser.
La vice-rectrice de l’université, Martine Collart, a fait œuvre didactique sur notre plateau. Je ne compte plus les occurrences du mot dialogue qu’en cinq minutes elle aura prononcé. Elle a même invoqué la «charte éthique et de déontologie», croyant sans doute que celle-ci avait encore une quelconque importance. Mais le plus grandiose furent ses remerciements au conseiller fédéral Pfister «pour être resté malgré l’interruption, afin que l’événement ait pu avoir lieu dans son entièreté.» Autrement dit: quand on est conseiller fédéral et qu’on va à Genf, on doit se plier aux us et coutumes locales, accepter les contraintes de son hôte et attendre sereinement la fin de la blague figurant au programme. Car le rectorat avait suffisamment d’éléments en mains et un historique déjà costaud pour savoir ce qui allait se dérouler. Et s’il a fait confiance à une poignée de manifestants s’étant engagée à ne pas interrompre le conseiller fédéral, il est d’une naïveté confondante.
Dans son nouveau rôle de gentil organisateur d’un Club Med qui part en vrille, l’alma mater a contribué cette semaine à consolider la réputation de Genève à Berne
Jusqu’ici, la position de l’université consiste à ne pas en avoir. Ce faisant, elle se révèle incapable d’organiser un débat dans des conditions normales. Un comble, vu ce qu’elle coûte à la collectivité. Soit elle n’a pas pris la mesure des nouveaux usages de la censure, ce qui serait le signe d’une déconnexion totale, soit elle n’ose pas affronter l’extrême-gauche, d’où il faudrait conclure à une insigne faiblesse.
Dans son nouveau rôle de gentil organisateur d’un Club Med qui part en vrille, l’alma mater a contribué cette semaine à consolider la réputation de Genève à Berne, pour le cas où la Confédération aurait oublié notre créativité en matière de Genferei. Dont la toute première, initiée par l’inénarrable James Fazy, avait valu au canton la mise sous tutelle de Berne. Pour pousser cette déraisonnable comparaison, ce n’est plus aujourd’hui contre un groupe d’agitateurs violents qu’il faudrait sévir – les nôtres étant parfaitement inoffensifs – mais contre de braves gestionnaires de l’académie, croyant vivre dans une forêt enchantée, entourés de créatures magiques et de bisounours, et bêlant des cantiques de paix. Je suggère au canton de s’en occuper au plus vite, avant qu’on ne devienne la risée du monde libre. Il peut s’appuyer sur cet adage de Rivarol: «C’est un terrible avantage que de n’avoir rien fait. Mais il ne faut pas en abuser».
Quant à l’université, à défaut d’échafauder une vision, d’adopter une ligne et de l’imprimer avec un peu de courage, je ne peux que lui conseiller de ne plus inviter des gens aussi extrémistes, brutaux et clivants qu’un centriste comme Martin Pfister. Franchement, c’est insensé, quand on a une Rima Hassan sous la main.