Lugon sans permission: Vernier, les communautés et la «res publica»
Après la suspension des élections à Vernier émerge la question du droit de vote des étrangers. Un geste bienveillant aux arrière-pensées clientélistes qui a fait son temps.
Le pire n’est pas certain. Ce truisme est valable dans le reste du monde. Dans le canton, il commence à être douteux. À Vernier, il n’a plus rien de vraisemblable. Dimanche dernier et pour la seconde fois, les élections verniolanes ont été suspendues, en raison de fraude présumée. Quelle indignité.
«Le scandale prend des allures de thriller», écrit la NZZ, sans ironie aucune. Longtemps, j’ai redouté de lire sous la plume des confrères alémaniques une caricature méprisante de Genève. Toute honte bue, je découvre désormais des portraits fidèles.
Permettez que je vous dépeigne celui du Conseil d’État dimanche, en conférence de presse. Un gouvernement taille XS, pour une situation qui ne valait certes pas un déplacement en grand équipage. Ils ne sont donc que trois ministres à accompagner la chancelière dans ce récit du déshonneur. En sa qualité de président du collège, Thierry Apothéloz eût été l’homme de la situation. Mais sa qualité de citoyen de Vernier l’en a empêché, ce dont il ne faut pas lui faire grief. Carole-Anne Kast, elle, n’a pas jugé bon être présente, alors même que c’est son département qui veillera sur Vernier ces prochains temps. Sans doute a-t-elle été retenue par quelque événement capital, style brunch à la ferme, mais notons qu’elle fait souvent de l’absence un programme. Encore un peu et on l’oubliera tout à fait.
Pierre Maudet, lui, farfouille dans un petit classeur de notes, tel un élève appliqué à faire tout autre chose pendant qu’un de ses camarades passe à l’oral
Pierre Maudet, pas concerné, farfouille dans un petit classeur de notes, tel un élève appliqué à faire tout autre chose pendant qu’un de ses camarades passe à l’oral. Il faut dire qu’il n’avait rien à voir, mais vraiment rien, avec cette nouvelle liste Égalité & Diversité (LED), phénix de Libertés et Justice sociale (LJS), le parti qui avait profité d’un nombre considérable de bulletins panachés en sa faveur lors de la fraude du printemps. C’est donc la doyenne, Nathalie Fontanet, qui s’est coltiné l’exercice. Diantre, heureusement qu’elle est encore là pour tenir la boutique.
Pendant ce temps, dans les rues de la cinquième ville de Suisse romande, le citoyen ébaubi ne trouve plus les mots pour exprimer son désarroi. Je parle de celui qui vote encore, une espèce fragile et menacée.
Même les Valaisans éparpillés en terres confédérales ne votent pas ethnique, c’est dire
Ce qui m’amène à désigner l’éléphant dans la pièce: l’élargissement du corps électoral. S’il faut attendre les résultats de l’enquête du Ministère public pour confirmer ou infirmer le fait que des candidats ont utilisé des étrangers avec droit de vote à leur bénéfice, la question est revenue à l’agenda politique. Car de toute évidence, c’est bien la logique communautaire qui a fait dérailler la mécanique de précision lors des élections annulées de mars. Cette logique n'a rien d’illégal, si elle ne s’exprime pas de manière industrielle, par captation de voix. Mais elle met à mal une certaine idée de la chose publique. Même les Valaisans éparpillés en terres confédérales ne votent pas ethnique, c’est dire. La Suisse, qui n’est pas un État nation, a fédéré ses peuples en créant des «ethnies politiques» qui supplantent les origines cantonales. Laissez-le-nous.
En 2005, dans un geste bienveillant aux arrière-pensées clientélistes, on a persuadé le peuple d’accorder aux étrangers une citoyenneté de pacotille. Une citoyenneté au rabais puisque ce droit ne devrait pas être sécable. En l’occurrence, il a été accordé sur le plan communal uniquement, et sans être assorti du droit d’éligibilité. Ce qui fait de ces Suisses en puissance des mineurs à qui on permet une liberté conditionnée, un essai de «suissitude», une étape vers l’intégration, pour autant qu’elle serve les partis. Ils ont été servis.
Représentez-vous des pupilles étrangers devant condescendre à être édifiés par des adultes suisses en mission civilisatrice
Pourtant, l’État avait pris les devants. Dans une tentative angélique et manifestement inutile, les pouvoirs publics ont fait de la prévention auprès des résidents pour leur expliquer que le vote est personnalisé. Représentez-vous des pupilles étrangers devant condescendre à être édifiés par des adultes suisses en mission civilisatrice. À la place des premiers, j’aurais mal pris la chose. Et préféré attendre la fin du délai légal permettant la naturalisation. Celle-ci suppose une identification, une adhésion, des droits et des devoirs. Elle repose sur une représentation intime de l’identité, même plurielle. Elle ne devrait pas être bradée aux puces citoyennes.
Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que l’UDC lance une initiative pour retirer le droit de vote aux étrangers que les Vaudois, dans leur sagacité, ont refusé le week-end dernier. L’occasion était trop belle. Mais elle risque d’être manquée si d’autres partis ne brisent pas à leur tour ce tabou. Il semble en effet que l’UDC genevoise - le barde autoproclamé de la démocratie directe - ne soit plus capable de réunir des signatures valables pour des initiatives populaires.
Cette semaine encore, le parti a foiré sa collecte pour la traversée de la Rade, après avoir déjà échoué sur le burkini pour d’autres raisons. Du coup, je me demande quand même s’il ne serait pas judicieux d’organiser pour lui un petit atelier sur la démocratie directe. Trois fois rien, juste un rappel didactique. Je propose que des fonctionnaires paternes et indulgents soient délégués à cette mission. L’atelier se terminera par un exercice pratique, à Vernier.