Opinions

Lugon sans permission: commerces le dimanche, liquidation totale

18.10.2025 07h30 Laure Lugon Zugravu

Le scrutin sur l’ouverture des commerces deux dimanches par année est annulé. Une Genferei qui révèle une impossibilité quasi métaphysique de parvenir à des compromis.

Alerte info. Demain, l’élection au Conseil d’État est maintenue. On répète: elle est maintenue. Vous pouvez vous diriger vers les bureaux de vote, et si vous faites partie de ceux qui se sont déjà prononcés par correspondance, soyez assurés que votre bulletin sera dépouillé. A l’heure où nous publions ce texte, rien ne laisse penser qu’une clownerie, une culbute du processus démocratique ou une fraude n’aient pu entacher ce scrutin.

Il faut le relever puisque le fait se raréfie. Cette année, sous le regard mi-amusé, mi-consterné des Confédérés, Genève a dû annuler une élection - sur les terres très disputées de Vernier où règnent des clans indomptés - ainsi qu’un scrutin cantonal, a-t-on appris cette semaine.

Cette régularité dans la consultation est consubstantielle à notre culture

Nous recevrons en vue du 30 novembre prochain un bulletin que nous ne devrons pas remplir, puisque ce scrutin passe à l’as, a averti le Conseil d’État. Ce vote sur l’ouverture dominicale des commerces est renvoyé aux calendes grecques. Quelle tristesse! C’eût été la troisième fois depuis 2016 que les Genevois auraient pu se prononcer sur cette question essentielle si leur élan toujours renouvelé n’avait pas été brisé, un mercredi de stratus. Cette régularité dans la consultation est consubstantielle à notre culture; nous en priver revient à détruire les racines de notre orgueilleuse singularité. Prions pour que la traversée de la rade revienne une fois encore pour laver cet affront.

L’histoire passionnément juridique qui conduit à l’annulation de ce scrutin est tarabiscotée comme jamais. Aussi renoncé-je à vous exposer dans le détail les motifs de cette décision. Ce que mon cerveau fatigué a été capable d’appréhender en résumé grossier, c’est que le Tribunal fédéral a estimé que la loi genevoise sur les heures d’ouverture des magasins était contraire au droit supérieur – qui prévoit par ailleurs jusqu’à quatre dimanches ouverts par an. C’est sur cette loi que nous devions nous prononcer, en ce qu’elle contenait la possibilité d’ouvrir les commerces deux dimanches par an. Mais cette possibilité était subordonnée à l’existence d’une convention collective de travail, ce qui froisse les juges de Mon Repos.

Le peuple devient l’arbitre de gens qu’il avait élus dans l’espérance qu’ils prennent quelques décisions et que les perdants enterrent la hache de temps à autre

Je ne suis pas sûre d’avoir été claire mais m’en console, du fait que les têtes éclairées du Conseil d’État ont également parlé d’enjeu «illisible» à la lumière de l’arrêt en question. Delphine Bachmann, qui souffre des mêmes lacunes que moi, déclare ceci: «Le Tribunal fédéral ne dit pas si c’est seulement la question de la CCT ou si c’est l’ensemble de la loi genevoise qui doit être modifié. On ne peut pas faire voter le peuple sur des hypothèses ou sur des interprétations de l’arrêt du TF.» Je reconnais là une sagacité qui devrait faire date, et je me mets à espérer qu’elle se manifeste avant de soumettre au peuple des objets entortillés. Ce qui m’amène à cette réflexion simpliste: ne s’est-il pas trouvé un seul juriste dans les bataillons qu’en compte l’État pour tirer la sonnette d’alarme avant d’imprimer les brochures? Mais c’est un détail.

L’essentiel du problème réside dans l’inépuisable hargne des élus des deux bords les conduisant à ne jamais lâcher une affaire. Qu’une majorité se dégage au parlement sur un texte et le référendum des adversaires est quasi automatique. En l’espèce, il est le fait de la gauche et des syndicats. Mais la droite procède pareillement. Et les affables centristes allergiques à la polarisation ne sont pas en reste. Si bien que le peuple devient l’arbitre de gens qu’il avait élus dans l’espérance qu’ils prennent quelques décisions et que les perdants enterrent la hache de temps à autre. Ce n’est pas le cas, donc il arrive que ce soit le Tribunal fédéral lui-même qui siffle la fin de la récré. Et je ne vois pas grand-monde afficher un brin de repentance, bien au contraire. Car chacun sait qu’on repartira comme en quarante. Et que le procédé Genferei est une marque protégée dont il faut tirer gloriole.

Je suggère aux députés qu’on vote pour l’ouverture des commerces tous les quatre jeudis

Démocratie vivante? Certes. Les chiffres montrent que Genève est le canton qui vote le plus depuis 2000, alignant initiatives et référendums facultatifs. Mais cette agitation dénote aussi une impossibilité quasi métaphysique de parvenir à des compromis, socle sur lequel repose pourtant le système suisse, n’en déplaise à Genève. Comme le résumait l’excellent politologue de l’université de Lausanne Sean Müller, dans une analyse accordée à Léman Bleu: «Ici à Genève, on a plutôt l'impression que la concordance, on la pratique le matin et l'après-midi, on n'est pas d'accord.» Ou comment ne pas renoncer à une bataille, quand bien même elle tournerait à la farce.

Nous revoterons donc sur l’ouverture des commerces deux dimanches durant les Fêtes, à moins qu’une nouvelle loi du Conseil d’État ne vienne remplacer ce texte dans l’intervalle, à supposer qu’elle obtienne une majorité. Ce moment d’accalmie durera moins de deux heures avant que le référendum ne soit lancé. Nous repartirons alors dans une danse effrénée.

Je suggère aux députés qu’on vote pour l’ouverture des commerces tous les quatre jeudis, lié à un bonus à Noël pour les magasiniers et une prime à Pâques pour les caissières, versés les 29 février des années impaires. Le reste de la semaine, nous irons en France pour la boustifaille et sur Temu pour les loques à dix balles. Mais de grâce, ne vous mettez jamais d’accord. La CEDH ne s'est pas encore prononcée.