Lugon sans permission: la France contre la Champagne
Pendant que le maire d’Annemasse soutient Nicolas Walder, Lionel Dugerdil est traité d’extrême-droite. On a perdu le sens des mots. Mieux vaut donc considérer les soutiens des candidats que les anathèmes jetés par les opposants.
C’est plié. L’élection au Conseil d’État de l’écologiste Nicolas Walder ne fait plus guère de doutes, depuis qu’un soutien ô combien précieux est venu s’ajouter à la très longue liste des associations arc-en-ciel avec prédominance verte. Notre conseiller national à plein temps bénéficie depuis cette semaine du soutien affiché de Christian Dupessey, maire d’Annemasse depuis 1859. Braves gens, je ne saurais vous dire à moins de consulter la Toile depuis combien de temps cet homme affable règne sur la ville voisine, mais je parie que son buste est déjà en cours d’exécution dans quelque atelier de sculpteur.
Obtenir le soutien d’Annemasse (synonyme de Dupessey) est de la plus haute importance. Annemasse, ville ouverte, ville bigarrée, exemplaire sur le plan des diversités, où ceux qui se lèvent tôt font route vers Genève et où les autres attendent le retour des impôts des premiers. Obtenir le soutien de Christian Dupessey revêt une symbolique absolument déterminante, à l’heure où le Grand Genève, privé de son principal hérault Antonio Hodgers, peine à enthousiasmer les foules. Même l’éminent professeur Weidmann de l’EPFZ, qui a rendu son rapport sur les infrastructures de transports en Suisse, ne tient aucun compte du rêve d’agglomération de notre canton: les infrastructures favorisant les déplacements dans le Grand Genève sont repoussées, Cornavin demeure une gare terminus, tout le monde descend.
Et je m’étonne qu’Elon Musk ne se soit pas encore déclaré pro-Dugerdil
Il est donc remarquable que le Français, ancien proviseur-adjoint devenu maire et président du Pôle métropolitain du Genevois français, décoré par Manuel Valls de la légion d’honneur, adoube à son tour le preux Nicolas Walder. Il n’est pas le seul: le maire d’Annecy a fait de même. Et je m’étonne qu’Elon Musk ne se soit pas encore déclaré pro-Dugerdil.
L’eût-il fait que ses adversaires n’auraient pas réussi à monter en grade dans leurs attaques afin d’éviter le déshonneur à la République. Car c’est désormais officiel: Lionel Dugerdil est d’extrême-droite. Ainsi l’a décrété le camp du Bien, c’est donc validé. La gauche a débuté en appelant à un «front républicain». Ce mot, que j’ai repéré d’abord dans la bouche de la conseillère nationale Delphine Klopfenstein Broggini, m’a rappelé que la gauche genevoise emprunte souvent au lexique de ses alliés français. Une fois les vannes ouvertes, des élus courageux ont collé l’étiquette d’extrême-droite au viticulteur bio. Un «appel citoyen pour faire barrage à l’extrême-droite» est apparu sur la Toile, enjoignant les gens à parapher. Me suis demandé qui en était à l’origine: c’est signé «2025 Campagne Nicolas Walder».
On ne peut que se réjouir d’un peu d’ironie à bâbord, la gauche étant d’ordinaire aussi péremptoire qu’un prédicateur en chaire
La faîtière des syndicats a fait de même, par la voix de son président, rappelant «l’idéologie ultralibérale, xénophobe, populiste et résolument contre les intérêts des travailleurs de l’UDC.» Parenthèse: je conseille à Davide De Filippo de revoir ses classiques économiques, tant il est difficile de marier ultralibéralisme et aversion à la libre-circulation, qui est indéniablement un mantra de l’UDC. J’ajoute que Lionel Dugerdil, sur la question des Bilatérales III, déroge à son parti en disant qu’il faut faire avec, mais c’est un point de détail pour ses adversaires.
Mention spéciale au PS genevois, qui innove stylistiquement par l’usage de l’antiphrase: « «Mais l’UDC, c’est pas l’extrême droite!» Pourquoi il faut faire barrage le 19 octobre (et en général).» On ne peut que se réjouir d’un peu d’ironie à bâbord, la gauche étant d’ordinaire aussi péremptoire qu’un prédicateur en chaire.
Imagine-t-on Dugerdil chausser nuitamment des bottes brunes pour s’en aller faire un carton à la frontière?
Que nous arrive-t-il collectivement, pour ne plus nous émouvoir devant la rage qu’intellectuels et idéologues mettent à piétiner le sens des mots? Quelle épithète leur restera-t-il pour qualifier par exemple la Hallebarde, plateforme extrémiste de la pire espèce, qui s’en prend au président de la CICAD selon les codes antisémites des années trente? N'y a-t-il plus de gradation dans l’abject, qu’il faille confondre conservatisme souverainiste avec fascisme, comme s’il fallait encourager l’amnésie historique en banalisant le vocabulaire des heures les plus sombres? Imagine-t-on Dugerdil chausser nuitamment des bottes brunes pour s’en aller faire un carton à la frontière? Ah, ils me rétorqueront que je finasse, parce qu’il s’est déjà entraîné avec la fourche? Franchement, ce n’est pas sérieux.
Cette campagne, comme le monde actuel, devient illisible, au jeu des équivalences. À force, la sagesse populaire s’éreinte, elle bascule elle aussi dans l’outrance et les bouteurs de feu en seront comptables.
Voilà qui nous renseigne enfin sur l’orientation politique de Pierre Maudet
Laissons donc les incendiaires de côté et revenons aux soutiens des candidats qui disent davantage d’eux que les comédiens du verbe. Je retiens que le candidat UDC est soutenu par les deux faîtières économiques, ce qui prouve que le monde libéral le considère comme l’un des siens. Je retiens que Nicolas Walder est soutenu par la coalition Climat, les associations de gauche et Christian Dupessey, des gens assez éloignés des Brigades rouges.
L’écologiste bénéficie aussi d’un soutien plus subtil, découvert au détour d’un reportage RTS consacré aux deux candidats en campagne au marché: à une passante en discussion avec Nicolas Walder, Pierre Maudet, déambulant lui aussi, lui glisse: «Votez pour lui, il est vraiment très, très bien.» Voilà qui nous renseigne enfin sur l’orientation politique de Pierre Maudet.
Et sinon, ce dernier se félicite sur les réseaux sociaux d’avoir mis la main au marché aux puces sur la sacoche en cuir de James Fazy, son maître à penser. On ignore encore comment il a encaissé le choc émotionnel. Et s’il compte en faire cadeau à son comité de soutien.