Opinions

Lugon sans permission: mikado dans les baronnies de la République

27.09.2025 07h30 Laure Lugon Zugravu

Après les cris de guerre, la débandade. Les élus s'agitent beaucoup autour des affaires des SIG pour finir par ranger la hache. Car la gouvernance des régies publiques est verrouillée par les intérêts partisans.

Comment faire croire qu’on va sévir quand on ne le veut pas? Se référer au théorème du parent bienveillant: «si tu continues ta scène, je vais être obligé de te demander gentiment d’aller réfléchir dans ta chambre.» Il en va de la politique genevoise comme des familles. Le bazar aux Services industriels genevois nous en fournit une brillante illustration.

N’était-ce la perspective des élections ce dimanche, les députés ne se seraient pas agités pour si peu. Pensez donc: qui pour s’offusquer de quelques broutilles aux SIG, si ce n’est une poignée de journalistes hargneux faisant métier des procès en sorcellerie? Depuis l’affaire des surfacturations à laquelle se sont ajoutées l’affaire de népotisme, celle des audits complaisants, de l’avocat «indépendant», des tarifs des réseaux thermiques structurants, des tuyaux tunisiens percés, la classe politique n’avait fait que jaboter.

Réveil pénible ces derniers jours. Les élus ont perçu l’indignation du peuple. Branle-bas de combat, entre sincérité pour certains et posture pour beaucoup d’autres. Après que la commission de contrôle de gestion s’est réveillée d’une longue léthargie, pas même secouée par de multiples alertes pendant des mois, quatre partis (Centre, LJS, UDC, MCG) ont convoqué le spectre grimaçant d’une commission d’enquête parlementaire (CEP), dont il était évident dès le début que personne n’en voulait réellement.

Le PLR a proposé une solution d’une audace contenue

Qu’à gauche, cette éventualité soit exclue, rien que de très normal, les SIG étant une terre seigneuriale appartenant aux écologistes. Le PS a invoqué le coût faramineux des CEP, lui en général peu sourcilleux sur les dépenses. Le PLR a fourni ce même argument pour motiver son refus, s’alliant pour la circonstance avec la gauche. Voilà qui éclaire les communautés d’intérêts à ce que rien ne change. À l’heure du vote, les abstentionnistes opportuns ont fait le reste. Cocasse: le candidat UDC au Conseil d’État, Lionel Dugerdil, pourtant signataire de la motion, n’était pas présent au vote. Il est arrivé en retard, m’a-t-il confirmé, à cause de la campagne et des vendanges.

Pour ne pas être accusé d’immobilisme, les bourgeois ont toutefois mûrement réfléchi. Reprenant par inadvertance la célèbre maxime du conseiller fédéral socialiste Berset - «Nous souhaitons agir aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire» - le PLR a proposé une solution d’une audace contenue: il a déposé en urgence un projet de loi pour réduire de 23 à 11 le nombre des membres du conseil d’administration des SIG. Ou comment neutraliser un élève turbulant en réformant le département tout entier. Le parti bourgeois rappelle que la Cour des comptes avait recommandé aux HUG, il y a belle lurette, de tailler sévèrement dans les effectifs des conseils «afin d’assurer une gouvernance éclairée, agile et impliquée.» Et moi qui croyais que nous tenions déjà aux SIG notre despote éclairé, son altesse sérénissime Robert Cramer.

Si tel fief déraisonne, le Grand Conseil va opter pour un contrôle superficiel, puisque tous les partis se gavent dans les fiefs

Ce faisant, le PLR évoque sans le résoudre le véritable problème: la gouvernance des régies publiques, à l’architecture clientéliste. Le territoire du Grand État est divisé en fiefs (SIG, HUG, TPG, Aéroport, Hospice général, Imad), lesquels sont administrés par des barons. Ces petits nobles couratent depuis des lustres d’une seigneurie à une autre. Autour d’eux gravitent des membres de partis politiques, désignés par les législatifs et exécutifs du canton et de la Ville. Même si les députés ont pour mission de contrôler l’administration, ils rechignent à le faire, par crainte d’un retour de bâton d’une baronnie adverse. Autrement dit, si tel fief déraisonne, le Grand Conseil va opter pour un contrôle superficiel, puisque tous les partis se gavent dans les fiefs.

D’autant plus qu’il y a à becqueter pour tout le monde! Le territoire a été quadrillé afin que toutes les formations politiques occupent des fauteuils aux conseils d’administration des feudataires. La présidente des TPG est socialiste, celle de l’aéroport PLR, aux HUG et SIG, on trouve deux Verts. Si les autres membres des conseils d’administration y sont bigarrés, ce n’est pas le cas aux SIG, qui compte le nombre astronomique de huit représentants écologistes sur vingt-quatre. Si les députés n’ont pas osé taper du poing sur la table, c’est que chercher noise à une régie publique peut se retourner contre vous, qui trustez une autre régie publique. Ce que mon collègue Pascal Décaillet résume parfaitement par le mot «barbichettes»: ne t’occupe pas de mes affaires, je fermerai les yeux sur les tiennes.

Tout ce petit monde s’observe avec un détachement contraint; on grogne un peu pour la forme, on agite un épouvantail, puis on vaque. Et si jamais ça continue de gueuler, la régie lancera un énième audit. Ce qui aura pour conséquence de calmer la meute et donnera l’occasion aux élus de pouvoir dire d’un air soucieux et pénétré: «Il faut attendre les résultats de l’enquête.» Et c’est ainsi qu’avance la République, menée par un char rempli de nobliaux – toujours les mêmes – se sachant protégés par le suzerain cantonal.

Au bal des petits copains, ne vous avisez pas de demander une tête, on couperait la vôtre.