Lugon sans permission: pantalonnade du budget, suite et jamais fin
Les budgets de l’État comme de la Ville sont refusés jusqu’à meilleure fortune. C’est ce qui arrive logiquement après des années d’incurie.
Énoncé d’une loi générale: les enfants adorent la routine. Question: en quoi l’exercice du budget de l’État et celui de la Ville répond-il à cette aspiration profonde des enfants de Genève?
Éléments de contexte saisonnier: en septembre, les élus font monter le mercure, faignant de supputer un projet de budget catastrophique. Quand le collège arrive avec sa copie et ses mines de circonstance, le budget s’avère bel et bien catastrophique. La gauche hurle à l’austérité, la droite aux largesses coupables.
Mise en scène: lorsque démarrent les tractations dans les coulisses obscures de la Commission des finances, la fonction publique investit le pavé dans une prestation jamais renouvelée: sifflets stridents, banderoles, porte-voix, grosses laines et gilets de chantier, badges et slogans en alexandrins. C’est pour nous qu’ils se mobilisent, bien entendu. Et pas du tout pour l’indexation de leurs salaires, le rétablissement de leurs annuités et le maintien des nouveaux engagements prévus qui feront gonfler leurs effectifs déjà surnuméraires.
Chaque année depuis dix ans, Genève a droit à sa petite routine d’enfant gâté. Il arrive même que tout ce petit monde ne parvienne pas à signer la paix des braves, et c’est alors un enchantement
Chaque année depuis dix ans, Genève a droit à sa petite routine d’enfant gâté. Il arrive même que tout ce petit monde ne parvienne pas à signer la paix des braves, et c’est alors un enchantement. L’entrée en matière du budget est refusée, on se dirige sur fond musical épique vers le no man’s land qui a pour nom «douzièmes provisoires». Ce mécanisme ne permet que la reconduction du budget de l’année précédente, mois après mois.
C’est ce scénario enthousiasmant qui a été produit cette saison, au canton comme à la Ville, alléluia. Et ce, malgré les efforts considérables du Conseil d’État pour redimensionner son rêve. En l’occurrence, il a renoncé à 80 millions sous forme d’amendements divers, soit l’équivalent de quatre villa Zep. Parenthèse: le maire Alfonso Gomez, lui, veut bien renoncer à tout, mais pas à cette «campagne Masset». À deux semaines du vote, il en a fait la réclame sur notre plateau, à défaut d’avoir pu planter des affiches promotionnelles comme Madame Perler à l’époque sur la passerelle du Mont-Blanc. Il faut dire qu’il n’a pas encore de concept, ce qui représente un handicap majeur pour réaliser une esquisse.
Si la mauvaise humeur des députés demeure jusqu’à la plénière de décembre, nous aurons l’assurance de voir durer le plaisir. Grâce au député socialiste Alberto Velasco, une loi oblige désormais le Conseil d’État à réaliser une nouvelle version budgétaire moins délirante et à la soumettre à la sagacité du législatif en mars. Frappée au coin du bon sens, cette loi empêche le gouvernement de prétendre que le pataquès est provoqué par le Grand Conseil et l’oblige à prendre ses responsabilités. Ce régime lui permet en outre de tendre sa sébile au coup par coup et d’obtenir en commission l’argent qui manquait à son bonheur sous forme de crédits complémentaires.
Aujourd’hui, menacés d’impécunieuses perspectives, nous devons continuer à fournir à cet État glouton sa ration qui partira en charges contraintes
Synthèse: tout ce sketch serait pur divertissement s’il ne cachait pas une réalité préoccupante. Les charges du canton n’ont cessé d’exploser depuis des années sans que personne ne s’en émeuve, puisque nous sommes riches. Nous pouvions patienter tout en nourrissant l’État-Providence, puisque nous sommes pauvres aussi. Aujourd’hui, menacés d’impécunieuses perspectives, nous devons continuer à fournir à cet État glouton sa ration qui partira en charges contraintes, aides sociales, subsides en tous genres. Raison pour laquelle la marge de manœuvre du gouvernement est très faible. Ce qui est dû, est dû. J’ajoute que si les fonctionnaires déplorent être la variable d’ajustement des budgets successifs, c’est exact, mais pas là où ils la croient: leur véritable concurrence se trouve au social et dans leurs rangs. Plus on en engage, plus les parts de gâteau se rétrécissent. Comme ils sont plutôt de gauche, je doute qu’ils l’aient compris.
Pour passer au régime minceur, il faudrait des changements de lois et des mesures structurelles. Je me souviens qu’il en était déjà question en 2015 et que j’ai eu la faiblesse d’y croire. Il aurait alors fallu que le Conseil d’État se batte. Il ne l’a pas fait. Il s’est contenté d’administrer. Il a continué à engager des employés pour faire tourner la boutique. La droite, n’écoutant que son courage légendaire, a entonné le refrain poussif de l’économie méprisée, sans proposer la moindre coupe. Pensez donc, c’eût été politiquement trop périlleux. Même avec un parlement et un gouvernement de droite, elle n’a pas osé.
Pour l’instant, les nantis sont encore là et à disposition. Sauf les jours où ils se rendent auprès de Trump dans le Bureau ovale pour rendre service
Ce qui m’amène à ce constat: c’est moins son insigne faiblesse que la puissance et la cohésion de la gauche qui rend la droite atone. Les camarades portent en effet le mérite de la cohérence et des slogans efficaces: prenons aux riches pour continuer à donner aux pauvres. Un moyen aussi d’élargir leur clientèle - leur patientèle, devrais-je dire. Ils ont raison: si même la droite ne veut pas proposer des coupes, l’ultime moyen est de faire rendre gorge aux nantis. Pour l’instant, ces derniers sont encore là et à disposition. Sauf les jours où ils se rendent auprès de Trump dans le Bureau ovale pour rendre service. Alors la presse en profite pour faire des articles qui interrogent la méthode, afin de s’assurer que ce commerce est bien moral. Je me demande si Aponte passe de temps à autre du côté de la Taconnerie pour murmurer à l’oreille de Bachmann.
Ce cirque budgétaire, qui cette année fait des émules en Ville, donne une image consternante. C’est le spectacle d’une incapacité à s’entendre sur des priorités et des renoncements. Cris d’orfraie, coup de gueule législatif, mobilisation syndicale, exécutifs giflés; puis viendront les Fêtes, la trêve, l’oubli. Prions pour que KKS, qui nous réclame des centaines de millions de francs, noie cette idée dans le champagne. Mais j’en doute. Économies budgétaires obligent, elle vient d’annuler le Noël du département. C'est probablement chez Parmelin, parti sans elle à Washington pour ramener les 15% à la maison, qu'aura lieu la grosse bastringue.